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Journal électronique du LPO Jean-Moulin
29 mars 2016

Lettre de Diderot à Voltaire

Voici la lettre collective rédigée par les élèves de la seconde 4 (séquence sur l'argumentation au dix-huitième siècle) à partir d'un sujet d'invention qui imagine l'arrivée inopinée de Denis Diderot en nos murs, et l'écriture d'un témoignage épistolaire, adressé à son ami Voltaire.
Chaque élève a contribué individuellement à cette écriture, leur contribution à l'idée ou à la tournure étant indiquée entre parenthèses. La première version a été l'objet d'un assemblage des diverses propositions, puis d'une petite réflexion sur la langue et les références des textes étudiés ou évoqués en classe pouvant être intégrées à la lettre. Les élèves ont été invités également à faire pour le lundi 14 mars des recherches sur internet, sur des points très concrets des us et coutumes françaises au siècle des lumières, en particulier sur les questions de la mode et de l'alimentation. Anna a lancé l'idée en ramenant d'elle-même une planche sur la manière dont Emilie du Châtelet s'habillait chaque jour (beaucoup de pelures successives!!!!!).

 

De Béziers, ce mercredi 17 février de L’an 2016.

Mon cher ami,

 

            J’ai vécu ces jours des choses bien étranges dans ces espèces de cube bleu qu’ils nomment, je crois, “lycée”. (J’ai d’abord cru qu’il s’agissait d’une écurie mais non, les chevaux sont remplacés par de jeunes personnes. (Amina).) Je ne sais par où commencer tant il y a de choses à dire.

Commençons par le commencement. J’ai atterri ici je ne sais par quel moyen. J’avais passé la nuit dans mon logis comme de coutume après avoir écrit quelques lignes de ce manuscrit qui m’occupe tant. (Dorian). Je me suis réveillé dans un tas de feuilles, sous un arbre étrange que je n’ai vu nulle part ailleurs.  Je me trouvais dans une grande cour avec de grands arbres (Pierre). Depuis, mon esprit est assourdi de ce que je vois et que j’entends. Un beau jour on se réveille et on se demande où on se trouve, ce que l’on fait là. (Anna). Ces amas de pierre de couleur bleue ne sont pas très rassurants et je suis longtemps resté très oppressé. (Pauline). On m’a mené depuis chez un « proviseur » qui a tenté de me rassurer, (Célia) mais je suis très incertain de mon sort à venir. A l’occasion j’ai vu des gravures particulières en haut d’un bâtiment. Les bâtisses portent des chiffres, je crois qu’il y en a trois. (Gaétan).

            Alors que la laine est si chère chez nous, ils ont eu l’idée curieuse d’en vêtir ces immenses « micocouliers ». Néanmoins cela les colore et je trouve cela plaisant. (Claire). J’espère qu’ils n’y voient pas une forme d’art ! A moins qu’ils ne leur aient découvert une âme ? (Morgane).Cette cour est une sorte de forum qui réunit de nombreuses personnes (Kesley). C’est curieux, car les grands champs ont disparu de l’horizon, remplacés par une matière grise, très laide (Adam). Il manque la belle couleur verte de nos campagnes. Tout ce sol d’un gris presque noir émet une odeur inconnue et nauséabonde. (Pauline). Je ne vois pas vraiment de verdure ; tout est gris (Pauline). En revanche, ils ont une forêt de bambous, (Dorian) comme dans nos estampes orientales fort à la mode. Il y a des grands plateaux noirs décorés de trous de couleur, bordés de bâtiments d’une teinte un peu sanguine qu’ils nomment « gymnases », (Claire) mais il n’est pas sûr que ce soit une référence à nos ancêtres grecs…Dans un bruit assourdissant, il paraît qu’ailleurs, des milliers de personnes de toutes conditions regardent des joueurs s’envoyer des objets ronds et colorés. (Claire). Tous ces gens semblent pratiquer du « sport ». (Celia) : j’en ai vus qui courraient tandis qu’un précepteur sifflait à tue-tête. (Celia).

            Il y a en ces lieux aux moeurs étranges des jeunes gens, qui se ressemblent tous. Ils sont âgés de quinze à vingt années, pour les plus nombreux (Marine).Tous les garçons ont les cheveux courts, un peu plus long sur le dessus. (Pierre). Ils se nomment eux-mêmes « étudiants ». (Ikram). Comme leur accoutrement est bizarre ! (Adam). Ils sont tout-à-fait extravagants (Sety). Où sont nos culottes, nos jabots, nos chemises et nos pardessus ? (Anna). Un tissu blanc drapé sur le haut du corps, deux tubes noirs ou bleus autour des jambes ( Ayate) … ils portent deux pièces de tissu et ils se disent « habillés » ! (Adam). Certains portent un grand « blouson » avec des poils de bête sur le haut. (Pierre) Quand j’ai demandé le nom de ce vêtement ils m’ont regardé d’un air bizarre puis ils ont fini par me répondre (Yousra). Ils portent tous les mêmes sabots blancs avec des bandes noires sur les côtés, des « pantalons ». Ce qui m’a le plus émerveillé, c’est que les femmes aussi en portent. (Yousra), semblables à des bas qui leur collent aux jambes. (Pierre). Une jeune femme était recouverte d’un tissu d’une matière curieuse, surtout sa culotte très longue. (Gondoba). Où sont nos gilets, nos mousselines, les corsets et les paniers des femmes ? (Anna). Je n’aperçois point de jupon de dessous, ni de lanières, ni de chemises de corps. Certains d’ailleurs vont à moitié dévêtus sans que cela choque. (Kesley). Mais la gente féminine m’effraie un peu, je l’avoue. (Claire). Avec leurs cheveux lâchés, elles semblent n’avoir peur de rien. (Claire). Elles mettent de la couleur sur leurs lèvres et leurs yeux sont bordés de noir (Ikram). Une jeune personne vêtue d’un jupon violet et de bas blancs m’a demandé si je cherchais quelqu’un et j’ai poussé un cri de peur tant elle m’a effrayé. (Pauline).

Ils parlent également de « chaussures », mais il faut avouer que certaines ont des formes incroyables. ( Ayate). Tous ces jeunes gens portent des sacs sur leur dos – des « cartables » ; ils m’ont indiqué qu’ils transportaient de quoi « travailler ». (Veli). Cela doit être très lourd car certaines traînent des sacs munis de petites roues fort commodes (Amina). J’ai vu aujourd’hui un jeune garçon avec une sorte de chapeau. Ce n’est pas pour protéger le visage du soleil car il fait gris et les nuages envahissent le ciel. (Pauline). J’ai remarqué ici qu’ils portent comme parfois nos élégantes des perruques très colorées, vertes, rouges, que l’on nomme ici le « cosplay ». (Claire), ainsi qu’une jeune personne toute vêtue de la couleur des roses, ce qui est vraiment surprenant (Veli). Les filles ont des cheveux souvent lisses et leur couleur de cheveux est très variée. (Ikram). Certains roux marchent librement sans être importunés. (Kesley). Voilà qui amuserait notre cher Montesquieu, lui qui s’inquiète du sort que les égyptiens réservaient aux rouquins dans De l’Esprit des lois. Les hommes ne doivent pas fréquenter les barbiers car ils ont tous des coupes de cheveux et de barbes atroces. (Ikram). Les hommes ici ont le droit de laisser leurs barbes pousser. (Souhaila). En effet que de poils et que de barbes !

            Ce que je comprends le moins dans tout ceci, c’est pourquoi ils ont tous en mains un genre de cube qui émet de la lumière. Je ne sais à quoi cela leur sert, mais j’ai comme l’impression que cette petite boîte leur est indispensable. (Pierre). Je crois qu’ils sont très attachés à ces objets fétiches qu’ils portent sans cesse à leurs oreilles et qui émet des sons. (Claire). Ils tapent dessus avec leurs doigts sur ces objets bizarres. (Dorian). Ils sont très absorbés par ces choses et ne lèvent pas la tête. Ils ont l’air si bêtes vus ainsi. (Veli). Le « téléphone » est une chose incroyable mais je ne comprends pas comment cette chose peut servir de lien entre deux personnes séparées. (Wiame).

            Mon ami je suis déboussolé. Qu’est-il advenu de notre ville si belle ? Je consulte ma montre à gousset toutes les minutes (Claire) mais la manière de compter le temps semble la même que la nôtre.

Toutes les heures, il y a une mélodie qui dure quelques secondes (Pierre). Une jeune femme m’a dit qu’il s’agissait d’une « sonnerie ». Figurez-vous, mon cher Voltaire, que la chose retentit toutes les heures, comme une cloche d’église ! Mais le son en est très différent (Yousra), et vous n’en seriez pas importuné. Le matin vers les 10 heures, ils se regroupent tous dans les cours : c’est une sorte de fête car ils ont l’air contents et échangent des paroles entre eux. (Ikram). Les hommes et les femmes jacassent ensemble de bon cœur. (Pauline).

            J’ai tenté de les suivre à l’intérieur des cubes bleus, composé de couloirs et de portes. (Ikram). Je pense à l’image d’une mer dans laquelle nageraient des poissons, je ne sais pourquoi (Souhaila). Ou à un labyrinthe vert, à cause de la couleur des portes. (Claire). Il y a des milliers de portes et des escaliers de toutes parts ( Ayate) Les gens se déplacent à une allure effarante dans ces couloirs étroits. De porte en porte – y figurent des numéros dont je ne comprends pas la signification – (Marouane), ils sont parfois attendus par un homme, une femme. (Yousra). Ils entrent alors dans des salles où ils doivent « travailler ». Je me demandais quel était ce « travail ». Dans ces sortes de salons où on cause librement et beaucoup, il y a un tableau au mur. (Veli). Les étudiants ont en fait une table et une chaise, un cahier et un bâton avec lequel ils écrivent. Ce ne sont pas des plumes. Il n’y a ici ni plumes, ni  encriers, ni manuscrits (Anna). Devant moi ils ont écouté le maître de salle qui parlait de chiffres ! (Yousra). Dans une autre des salles, une dame s’est mise à parler une langue étrangère (Ikram). De l’anglais, mon cher ! Vous entendriez mieux que moi cette langue (Amina), vous qui aimez tant les anglais. Ah mon ami je suis ici au Paradis car il me semble bien que je suis dans une école, et il y a tant de belles choses à admirer (Wiame), même si ce sont des originaux (Sety).

            Les lumières s’allument seules dans ces couloirs (Yousra). J’ai bien observé ce phénomène : il y a une flamme coincée dans une petite cage incolore et sans trou. (Yousra). Leurs lieux d’aisance sont remarquables. C’est un genre de chaise trouée (Wiame), une sorte de faïence avec un trou dans lequel l’eau coule à volonté. Comme un bol surmonté d’une trompe. (Gondoba).

            Il y a un autre cube dans lequel les étudiants prennent leurs collations. Ils s’y rendent avec une sorte d’affolement à l’heure médiane de la journée et se précipitent dans une longue file d’attente, avant de s’asseoir devant une planchette sur laquelle repose une « assiette » (Pierre). Ils mangent une sorte de pain blanc avec une pâte marron qu’ils nomment « Nutella ». (Ikram). Quand on songe au prix du café et du chocolat chez nous ! (Adam). Ici ils en mangent tous à foison. La nourriture ici est abondante, à croire qu’ils la ramassent en tous lieux à disposition (Keysley) ou qu’elle tombe des cieux (Kesley). Ils la présentent dans de grands caissons gris d’une matière brillante et inconnue de nous (Alisson). Une belle eau de source coule d’une fontaine, à la disposition de tous (Kesley).Je découvre des odeurs et des goûts différents. (Ysalyne). Hier j’ai trempé mes doigts dans une assiette par pure curiosité mais j’ai bien vite recraché l’horreur qui a enflammé mes pailles tandis que tout le monde m’observait avec perplexité. Mais n’avais-je pas le droit de trouver immonde cet amas de sauce sur une boule jaune peu ragoûtante ? (Pauline). J’ai hésité à goûter les mets de la cabane à nourriture qui se trouve au-dehors. Je ne sais ce qu’est un « tacos » ou une « barquettemoyennedefritesà2,40 ». (Sety). Ils doivent être très riches pour disposer d’une nourriture aussi variée et exotique, et leur monnaie est inconnue de nous. (Sety).

            S’agirait-il d’une école visant à former une jeune noblesse ? (Morgane). Cette idée a disparu lorsque je les ai vus se bousculer (Léa) et lorsque j’ai entendu un jeune garçon lâcher un gaz retentissant à cause d’une boisson curieuse, émettant des bulles, qu’ils prennent dans des boîtes d’un étrange métal et qu’ils nomment ‘Cocacola ». (Morgane). Figurez-vous qu’ils fument aussi. (Adam). Ce sont des espèces de petites choses blanches dont on peut disposer à l’envi (Veli). Il est également difficile de distinguer leurs conditions tant leurs habits sont variés, quoique finalement sur le même modèle. (Mohammed).

            Il y a aussi un internat où on peut dormir et également une sorte de bibliothèque nommée « CDI ». Il paraît que les gens s’y rendent pour lire, faire « leurs devoirs » (Souhaila). Le croirez-vous ? C’est une sorte de Paradis de la Littérature (Marine). Imaginez-vous des centaines d’ouvrages, et même des dictionnaires et des encyclopédies en grande quantité. (Marine) J’y ai vu des œuvres portant nos noms, mais pour certains d’entre eux, nous ne les avons pas encore écrits. (Yousra). J’ai ouvert une bibliographie à mon propre nom, et il m’a semblé que je me redécouvrais. (Yousra). Je vous parlerai de l’an 1778 et de 1784 si nous nous revoyons, mon ami. (Yousra). Je n’ai pas osé encore toucher ces cubes noirs qu’ils nomment « ordinateurs ». Ces engins m’effraient et je m’en suis tenu éloigné (Marine). Il semble que ces « écrans » soient alimentés par de « l’électricité ». (Veli). Ils sont fascinés par les « écrans », jouent avec un petit objet qu’ils nomment « souris » (Alisson) et la plupart demeurent là au lieu de courir et de jouer dans les cours. (Léa). Il semble qu’il y ait des mots écrits sur ces « écrans », mais aussi des images…J’ai vu un portrait de moi. On m’a autorisé à prendre un des précieux ouvrages afin que je puisse le lire. Ils sont d’une curieuse facture et certains comportent des couvertures rigides, brillantes, qui représentent des images. (Marine). Tous ces livres sont en fait à tous ! On peut les prendre sans sortir la bourse. Quel incroyable trésor. Ils savent tous lire, même les indigènes qui se trouvaient là. (Yousra). Mais je crois que les écrans les intéressent davantage et remplacent nos livres. (Lea). Des jeunes filles portent des bouchons dans les oreilles. (Yassmina). Il en sort de la musique. C’est stupéfiant (Celia).

            Au dehors il y a des « voitures », qui portent des chiffres. Que de merveilles (Yousra). Ce sont comme de grosses calèches, mais qui se déplacent sans chevaux. (Adam). J’ai été fort choqué et outré par ces engins (Adam.) Certaines choses sont tout-à-fait effrayantes. J’ai été ainsi arrêté dans mon ascension d’un cube bleu par une force dont je n’ai pas découvert l’origine et qui tenait aux portes elles-mêmes. Autre énigme : un panneau comportant ces quelques mots « Une rose, un euro ». Qu’est-ce que cela peut bien signifier ? (Morgane). A chaque pas, j’apprends des choses nouvelles. (Mohammed). Lorsque j’ai demandé à un jeune garçon en quelle année nous étions et qu’il m’a répondu avec un drôle d’air « 2016 », je suis resté bouche béante. Je suis une sorte d’intrus en ce nouveau Monde, empli d’objets et de mœurs inconnus. (Mohammed) et je me pose bien des questions. Ils ont tellement progressé. (Mohammed). Ainsi dans les cubes bleus, un petit réduit monte et descend tout seul, sans aucune fenêtre. Il y a de quoi devenir fou. (Marouane). La première fois qu’ils m’ont vu, ils se sont mis à rire et se sont moqués de moi. (Alicia). De part et d’autre je me sens toujours observé et des regards pèsent souvent sur moi (Pauline). Je crois que ma perruque les surprend beaucoup et que mon habit les distrait. (Maryline). Et puis je semble un vieillard ici. (Maryline).

            Ces gens ne sont pas les mêmes que chez nous. Ils ne sont pas vêtus comme nous et ils ne parlent pas comme nous. (Ysalyne). Leur langage n’est pas toujours très policé (Veli). Ils ont des vocables étranges comme « wesh wesh »,  et la plupart du temps, je ne comprends pas les conversations. (Celia). « MDR », « LOL », « Chelou » me semblent d’une langue étrangère (Claire). Il me paraît aussi qu’ils connaissent beaucoup de jurons et de blasphèmes, mais ils s’expriment librement (Claire) et sans que les gens d’armes n’interviennent à tout propos quand il est question d’affaires religieuses. Ils sont plutôt ouverts d’esprit et tout le monde fait comme il veut. Cela me choquait au début mais je trouve finalement cela très plaisant. Oui mon cher Voltaire,  les hommes et les femmes semblent vivre en harmonie et ils semblent avoir les mêmes droits. Voilà qui plairait à votre ami Rousseau : il y a des personnes qui enseignent le monde à des milliers de jeunes Emile, hommes et femmes.

            Les femmes peuvent ou non avoir la tête couverte et elles peuvent sortir comme les hommes, travailler comme les hommes. Certaines ont aussi les cheveux coupés. D’autres me regardent avec insistance. Elles sont très libres dans leurs manières. Certaines se montrent même un peu irrespectueuses à mon égard. (Kesley). Chacun pratique la religion qu’il souhaite et ils disent que le lycée est « laïque». Comme cela est beau de voir des nègres, des blancs et autres gens de diverses couleurs cohabiter sans courir le risque de se voir couper une jambe, ou un bras, comme votre Nègre de Surinam. Car ici il n’y a pas d’esclavage, et votre Candide s’en trouverait bien réjoui (Souhaila). Il y a bien des aides, dans des cubes argentés, armés d’ustensiles, mais les personnes se mettent en file pour se servir seules. Il faut ensuite déposer les déchets dans une « poubelle ». (Ysalyne). J’ai cru que la nourriture était apportée par des serviteurs habillés de blancs mais ce n’est absolument pas le cas. Il paraît que chacun ici peut recevoir une bourse quand il fournit un effort, un travail pour la collectivité (Gondoba). En somme bien des femmes et des hommes de toutes origines vivent ici ensemble. Peut-être la France a-t-elle connu d’autres peuples qui se sont installés depuis ? (Morgane). Peut-être ont-ils été visités par des habitants d’un autre monde ? (Morgane). Après tout, Bougainville vient bien de découvrir Tahiti ! Il faudra d’ailleurs que je vous cause du beau succès de notre Encyclopédie, de mon Supplément au voyage de Bougainville et des aventures de votre candide ! Me croiriez-vous si je vous disais qu’on étudie ici votre Candide et votre Dictionnaire Philosophique ? Votre lumière, mon ami, a traversé les siècles. Au moins n’aurons-nous pas vécu pour rien.

            Il n’est pas certain, cependant, avec des mœurs et des coutumes si libres qu’ils n’obéissent pas à des codes, à des rites. Ainsi à l’entrée de ce domaine, on demande un « carnet ». (Mohammed). S’agit-il d’une sorte de laisser-passer semblable aux nôtres, avec le cachet royal ? Ils obéissent à une mélodie qui retentit à chaque heure ; les jeunes personnes sortent alors de leurs salons, libérés par leurs précepteurs. (Amina). Ils ont coutume de rester plusieurs heures sous l’autorité d’une plus grande personne qui serait un « professeur » et qu’ils nomment « Monsieur » ou « Madame » en fonction du sexe de la personne. Je vois ces personnes comme des Philosophes, même si je ne comprends pas ce qui est enseigné. Il me manque quelques lumières, je crois. Au moins est-ce enseigné à tous et les élèves sont tous ensemble ; il n’y a pas de différence de sexe, de couleur ou même de religion. D’ailleurs, je ne comprends pas pourquoi les jeunes gens semblent si pressés de sortir des salons. Il semble que l’instruction leur soit une torture et ils ne réalisent pas quelle chance ils ont d’être éduqués dès leur plus jeune âge. (Sety). Pourtant je suis si heureux de voir qu’ils semblent égaux et non plus soumis à toutes les inégalités dont nous souffrons (Gondoba). Ont-ils enfin réalisé ce Contrat social de notre Rousseau ?

            Mon ami, mon cher Voltaire, j’espère de tout cœur pouvoir un jour partager cette expérience avec vous. (Veli). Dans quel monde suis-je tombé ? (Maryline). Mais je ne veux point rester ici où tout est si étrange. (Wiame). Je suis plus perdu que votre Micromégas. Je crains que mes nerfs n’y résistent pas. Comment faire pour revenir ? (Claire).

C’est en songeant à un retour possible dans notre siècle que j’ai décidé de noter mes impressions chaque jour. Qui d’autre que vous, mon cher ami, pourrait comprendre mon trouble ? La belle Emilie du Châtelet y perdrait son grec et son latin, et même notre brillant Newton n’y verrait goutte. Tout ceci défie notre entendement. Mais notre curiosité est si grande, de découvrir d’autres merveilles

 Votre bien dévoué et bien languissant Diderot

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